mardi 1 novembre 2022

Nucléaire : Gégé règle ses comptes


Gégé a droit à la Une
Gégé a droit à la Une pour ses salades


Gégé, notre héroïne, c’est Géraldine Woessner, la petite fiancée de l’atome. Elle écrit des articles et enregistre des vidéos pour le magazine réactionnaire Le Point, détenu par le milliardaire François Pinault, qui entend bien que ses opinions soit fidèlement relayées dans les nombreux médias qu’il a racheté au fil des ans. Et ça tombe bien car elle n’a pas besoin, Gégé, qu’on lui ordonne de défendre le nucléaire : elle fait ça d’elle-même, et elle cumule aussi au micro d'Europe1, et parfois chez d'autres médias.

Et justement, pour le numéro du Point du 26 octobre 2022, la direction de la réaction lui offre carrément la Une. Sa mission, dénoncer tous les méchants qui ont sabordé depuis des années la merveilleuse industrie atomique française, aujourd’hui dans un état de délabrement avancé. Car, c’est évident, le nucléaire lui-même ne saurait être mis en cause et, si on veut qu’il ait un avenir, il faut commencer par faire la vérité.

Alors elle attaque fort Gégé. Titre : « Enquête sur une débâcle ». Sous-titre : « Retour sur 25 ans de lâchetés et de gâchis ». Intro : « Cette fois, ils veulent des noms ». Bigre, il faut croire que Gégé était bridée depuis longtemps, empêchée de nommer les coupables. Mais parait-il, « cette fois », elle peut se lâcher. « Ils », c’est « l’opposition [qui] déboule, exigeant des réponses ».

Pour Gégé, « l’opposition », c’est Olivier Marleix, chef de file des députés LR (Les Républicains) à l’Assemblée nationale qui a déclaré qu’ « il faut établir les responsabilités ». Alors, puisque le terrible Olivier Marleix l’exige, Gégé n’a plus aucune raison de se retenir. Elle annonce une « opération vérité », et voici ce que ça donne…

La faute originelle, parait-il, serait la décision de fermer Superphénix en 1997. Il s’agit d’un réacteur nucléaire d’un genre particulier, un surgénérateur, dont la construction a été lancée en 1976 avec la promesse de « produire plus de combustible nucléaire qu’il n’en consomme » : il y a encore des gens qui croient au Père Noël.

De gigantesques manifestations antinucléaires ont lieu et, le 31 juillet 1977, les forces de l’ « ordre » tuent le jeune Vital Michalon : voilà ce qu’il en coûte d’oser s’opposer à l’atome !

Mis en service en 1984, le réacteur maudit est allé de dysfonctionnements en accidents, avec par exemple des fuites de sodium. Arrêté en 1987 sur décision du ministre de droite Alain Madelin, il est réactivé en 1989 par le socialiste Michel Rocard (oups, ça ne correspond pas à la grille de dénonciation de Gégé, mais passons…), mais les incidents plus ou moins grave se multiplient.

En 1994, après presque 4 ans d’arrêt, Superphénix est autorisé à redémarrer sous condition, la production d’électricité étant abandonnée au profit d’une fumeuse mission de recherche.

En 1995, la ministre (de droite, Gégé!) Corinne Lepage s’oppose à un redémarrage après de nouveaux incidents graves. Un terme est enfin mis à l’agonie de Superphénix en 1997 sous le gouvernement de gauche de Lionel Jospin : il n’en faut pas plus à Gégé pour dénoncer une véritable trahison au moment où le réacteur « commençait tout juste à fonctionner de façon satisfaisante ». Ben voyons.

Pour mémoire, tous les projets équivalents ont échoué sur la planète : le surgénérateur japonais de Monju a connu une vie au moins aussi chaotique que celle de Superphénix, ponctuée par un terrible incendie en 1995 et un abandon définitif en 2016. Le réacteur équivalent de Kalkar, en Allemagne, n’a pour sa part jamais été mis en service. Les USA ont abandonné tout projet de ce genre tandis que les Russes parviennent à grand mal à faire hoqueter leur BN-800 qui, cependant, ne réalise aucun des miracles attendus.

Toutes ces expériences ont causé de terribles dangers, englouti des sommes insensées et échoué lamentablement mais, pour Gégé, l’arrêt de Superphénix aurait sabordé l’avenir de l’atome hexagonal. Comprenne qui pourra…

Ensuite, notre amie Géraldine revient, inévitablement, sur le désastre de l’EPR.

Cette fois, il ne s’agit pas d’un réacteur expérimental mais un bon vieux « réacteur à eau pressurisée » comme on en trouve déjà un peu partout en France, des modèles américains construits par EDF après avoir payé les droits à son concurrent Westinghouse : eh oui, le prétendu "nucléaire français" vient en fait des USA, ce que n’ont jamais su les petits écoliers français, assommés pendant des décennies par la propagande d’Etat vantant jusque dans les classes primaires la prétendue « excellence française » dans l’atome…

Cette fois, c’est sans les américains : le réacteur EPR va démontrer l’incontestable supériorité de nos atomistes. Mais voilà : pour Gégé, les compétences nécessaires ont été perdues parce que les autorités françaises ont trop tardé à lancer de nouveaux chantiers. Pourtant, les derniers réacteurs construits, à Chooz (Ardennes) et Civaux (Vienne), ont été mis en service commercial en 2000 et 2002, alors que les chantiers EPR de Finlande (dirigé par Areva) et Flamanville (EDF) ont commencé respectivement en 2005 et 2008 : les compétences se seraient donc évanouies en 3 ans ?

La réalité est toute autre : lorsqu’ils veulent se débrouiller seuls et ne suivent pas à la lettre les préconisations de Westinghouse, les atomistes français échouent lamentablement. C’est bien entendu une vérité inacceptable pour Gégé et ses donneurs d’ordre, qui préfèrent croire que tous les mots viennent de l’infiltration de l’appareil d’État par un prétendu « lobby antinucléaire » : c’est assez amusant dans un pays où, au contraire, le nucléaire a toujours obtenu tout ce qu’il voulait. Les méchants opposants auraient-ils donc saboté les chantiers des EPR ? Elle y croit vraiment Gégé ?

Mais notre pasionaria de l’atome ne s’arrête pas là : elle met aussi en cause le Grenelle de l’Environnement, organisé en 2007 par le pronucléaire Nicolas Sarkozy. A peine élu président, il confirme l’EPR de Flamanville, dont la construction a été autorisée par le premier ministre Villepin entre les deux tours de l’élection présidentielle, et annonce un second EPR français à Penly (Seine-Maritime) : là aussi, on peine à voir la main des méchants antinucléaires. En revanche, la catastrophe de Fukushima en mars 2011 – probablement elle aussi causée par les antinucléaires ! - saborde ce projet de second EPR, tandis qu’Areva et EDF continuent à s’escrimer sur leurs chantiers maudits de Finlande et Flamanville.

Puis c’est l’arrivée en 2012 de François Hollande et l’annonce de faire baisser la part du nucléaire dans l’électricité française de 75 % à 50 % : voilà bien la preuve, selon Gégé, de la trahison des élites, manipulées par le lobby écolo. En réalité, cette baisse est inéluctable : construits en quelques années, nos 58 beaux réacteurs arrivent logiquement en fin de vie dans un bel ensemble : pour continuer à les faire fonctionner, ils nécessitent de ruineuses mise à jours – le fameux « grand carénage » - doublées de tout aussi lourdes mesures de sûreté « post-Fukushima ». 

Or, terriblement endettée et démontrant son incompétence, EDF est dans l’incapacité financière et technique de conserver tous ses réacteurs. On peut même considérer que le projet de fermer environ 14 réacteurs – à commencer par les deux plus vieux, ceux de Fessenheim – est un acte pronucléaire : il s’agit de réduire ce nombre insensé de réacteurs pour permettre à EDF de se concentrer sur les moins délabrés et essayer tant bien que mal de faire perdurer la nucléaire hexagonal. Cette stratégie défensive n’est bien sûr pas officielle car, en France, l’atome doit nécessairement être triomphant. Le fermeture des réacteurs de Fessenheim est donc mise en œuvre en 2020, après des années d’atermoiement et de dénonciation de l’influence des antinucléaires, bien utiles en l’occurrence.

Mais voilà : en 2022, Macron ne dispose plus de la majorité absolue à l’Assemblée nationale et, incompatible avec la Nupes (gauche) d’une part et le RN (extrême-droite) d’autre part, il doit composer avec LR (droite), radicalement pronucléaire. Du coup, virage brutal à 180° : oubliées les fermetures de réacteurs et, au contraire, on en annonce de nouveaux, des EPR, en premier lieu... à Penly : comme en 2010 !

Tant pis si les finances d’EDF continuent à se dégrader massivement et si l’incompétence est plus que jamais de mise à Flamanville : tôt ou tard il faudra bien que quelqu’un siffle la fin du concours de délires, annule les nouveaux chantiers et ferme un certain nombre de réacteurs en fin de vie. Mais pour le moment, que ce soit Macron pour pouvoir finir tant bien que mal son mandat ou Gégé pour défendre aveuglément l’idéologie pronucléaire, l’atome est à nouveau paré de toutes les vertus pour continuer à abuser l’opinion publique française.

Pendant ce temps, après avoir produit 17,1 % de l’électricité mondiale en 2001, le nucléaire poursuit sa chute libre et vient de passer en dessous des 10 %, en route vers sa quasi disparition dans une quinzaine d’années. Et elle sait bien, Gégé, qu’elle ne peut rien contre ça. Ecrire n’importe quoi dans Le Point et raconter des bêtises au micro d’Europe 1, c’est très distrayant et ça fait plaisir aux patrons, mais ça n’a bien heureusement aucun effet sur le cours des évènements…


Stéphane Lhomme
Observatoire du nucléaire



NB : Gégé n’est pas la seule à s’illustrer dans ce numéro (in)oubliable du Point : le dénommé Michel Revol, pronucléaire fanatique lui aussi, voit des réacteurs pousser partout sur Terre. Il croit même que l’Allemagne a changé d’avis sous prétexte que, dans le contexte de la guerre en Ukraine, elle a repoussé de quelques semaines la fermeture de ses deux derniers réacteurs, qui sera néanmoins définitive en avril prochain. Par ailleurs, l’éditocrate incompétent Franz-Olivier Giesbert étale les mêmes thèses que Gégé, accusant la « secte nucléophobe » d’être responsable de l’arrêt de la moitié des réacteurs d’EDF pendant des mois. Point de journalisme dans Le Point...