Par Stéphane Lhomme, président de l'Observatoire du nucléaire.
Auteur de "L'insécurité nucléaire : bientôt un Tchernobyl en France" (Ed. Yves Michel).
Les promoteurs de l'atome poussent de hauts cris à propos de l'accord signé par Europe écologie-Les verts (EELV) et le Parti socialiste (PS). Parmi les nombreuses protestations, on peut noter celle du Premier ministre François Fillon qui a déclaré qu'il s'agissait d'une "grande défaite pour le pays puisqu'il contient en germe la fin du nucléaire". Hélas, en réalité, cet accord ne remet PAS en cause le nucléaire. Il valide même le retour… du fameux surgénérateur Superphénix dont les Verts avaient obtenu l'arrêt en 1997 ! Étudions les principaux points de cet accord concernant le nucléaire :
1) La fermeture d'ici 2025 de 24 réacteurs nucléaires sur 58
- Cela peut sembler une mesure terriblement audacieuse, et on a d'ailleurs entendu dire qu'il s'agissait de réduire de près de moitié la production nucléaire. Or les 24 plus vieux réacteurs font aussi partie des moins puissants : c'est en réalité à peine 30% de la production nucléaire française qui sont concernés.
- En 2025, ces réacteurs auront été mis en service depuis 43 à 48 ans, alors qu'ils sont prévus à l'origine pour durer 30 ans. Au vu de l'état de délabrement déjà avancé de ces réacteurs - situation attestée par les témoignages des précaires qui assurent dans des conditions terribles la maintenance de ces installations - il apparaît improbable qu'ils fonctionnent jusqu'en 2025 ! Ils auront assurément été fermés d'ici là, aussi bien par un gouvernement de droite que de gauche, ou par EDF elle-même, en espérant d'ailleurs que ce ne soit pas à la suite d'une catastrophe.
- Dans l'hypothèse d'une victoire de M. Hollande à la présidentielle 2012, rien ne prouve qu'il sera toujours aux affaires après 2017, et il n'y sera forcément plus à partir de 2022. De fait, on ne peut vraiment compter que sur les fermetures de réacteurs opérées entre 2012 et 2017. Or, l'accord EELV-PS prévoit seulement dans cette période la fermeture des deux réacteurs de Fessenheim (Haut-Rhin). La production nucléaire française sera juste réduite de 1760 MW (2x880)… ce qui sera quasi intégralement compensé par la mise en service du réacteur EPR de Flamanville (1650 MW).
2) La mise en service du réacteur EPR de Flamanville
Non seulement la mise en service de ce réacteur compensera la fermeture de la centrale de Fessenheim, mais elle donnera aussi la possibilité à la droite, lorsqu'elle reviendra au pouvoir (toujours à supposer que M. Hollande gagne en 2012), de relancer la filière nucléaire française en mettant en chantier d'autres EPR. Si la construction de l'EPR de Flamanville était stoppée nette en 2012, il serait très difficile à la droite de la relancer quelques années plus tard, ou du moins de lancer la construction d'autres EPR avant que le premier n'ait été achevé et exploité quelques temps.
3) La continuation de la filière MOX
Le cas de ce combustible nucléaire, le plus dangereux qui soit, a fait l'objet d'une passe d'arme très médiatisée entre les négociateurs d'EELV et ceux du PS. Finalement, il a été convenu que cette filière continuerait "aussi longtemps que nécessaire". Les dirigeants d'EELV prétendent qu'elle s'éteindra "naturellement" du fait de la fermeture de la vingtaine de réacteurs utilisant ce combustible, qui font majoritairement partie des plus anciens. Mais :
- comme expliqué plus haut, la fermeture réelle des 24 plus vieux réacteurs est très incertaine ;
- certains réacteurs moxés ne font pas partie des 24 réacteurs les plus anciens ;
- EDF augmente actuellement le nombre de réacteurs moxés. Ainsi, en ce mois de novembre 2011, l'association girondine Tchernoblaye proteste lors de l'enquête publique à l'issue de laquelle deux nouveaux réacteurs de la centrale du Blayais seront moxés. L'accord EELV-PS saborde les efforts de cette association… et donne de beaux jours à la filière MOX !
- contrairement à ce qui a été prétendu par certains négociateurs du PS pour justifier la continuation du MOX, le réacteur EPR est aussi bien prévu pour fonctionner sans MOX qu'avec. Mais il est clair que EDF le mettra en service avec du MOX, ne serait-ce que pour rendre cette filière "indispensable".
4) La continuation de divers projets nucléaires… dont le retour de Superphénix
L'accord EELV-PS prévoit que "aucun nouveau projet de réacteur ne sera initié". Attention à ce dernier mot. Il s'agit là d'une astuce qui ne surprendra pas venant des pronucléaires du PS mais qui laisse pantois de la part des négociateurs d'EELV. En effet, tout en ayant l'air d'empêcher tout nouveau projet, cette formule valide au contraire ceux qui sont déjà "initiés".
L'accord entérine donc la continuation du projet ITER (bien que ruineux et déjà condamné à l'échec) mais aussi celle du projet, d'ores et déjà "initié" à Marcoule (Gard), de réacteur "de 4ème génération" (cf par exemple : http://bit.ly/rOGdx6 ).
Il s'agit en fait d'une appellation marketing pour masquer une nouvelle tentative de faire… un surgénérateur de type Superphénix ! Oui, ce même Superphénix dont les Verts avaient obtenu de Lionel Jospin la fermeture en 1997. Quatorze ans plus tard, EELV cautionne le retour de ce réacteur qui, comme son nom l'indique, semble donc toujours capable de renaître de ses cendres.
Il s'agit en fait d'une appellation marketing pour masquer une nouvelle tentative de faire… un surgénérateur de type Superphénix ! Oui, ce même Superphénix dont les Verts avaient obtenu de Lionel Jospin la fermeture en 1997. Quatorze ans plus tard, EELV cautionne le retour de ce réacteur qui, comme son nom l'indique, semble donc toujours capable de renaître de ses cendres.
Voilà en quelques mots pourquoi, lorsqu'elle hurle à la fin du nucléaire, la droite ne fait que jouer une partition politicienne visant juste à attaquer par principe le programme d'un concurrent. Mais, loin des micros, les pronucléaires se félicitent de l'accord EELV-PS : si François Hollande gagne en 2012, l'atome ne sera pas beaucoup plus en danger qu'avec Nicolas Sarkozy. Par contre, les citoyens resteront en danger, eux, menacés par une catastrophe nucléaire équivalente à celles de Tchernobyl et de Fukushima, dont on ne voit vraiment pas par quel miracle elle ne se produirait pas en France.
Stéphane Lhomme
Président de l'Observatoire du nucléaire
Auteur de "L'insécurité nucléaire : bientôt un Tchernobyl en France" (Ed. Yves Michel)